Faut-il dormir avec son enfant?

 
Par Elodie Arnaud www.femina.ch

Pratique régulière ou occasionnelle, le fait de partager son lit avec son enfant est souvent pointé du doigt. Est-il vraiment à l’origine de mauvaises habitudes pour les enfants et de difficultés pour le couple? Points de vue d’experts et témoignages.

Ailleurs dans le monde, de nombreuses familles dorment ensemble sans que personne ne se demande si c’est bien ou mal. Partager son lit avec ses enfants – une pratique que les anglo-saxons appellent le co-sleeping- est une question très culturelle. «Nos aïeux dormaient souvent tous dans la même pièce et ne semblent pas en avoir été traumatisés» relève aussi Corinne Meyer, sage-femme à la maison de naissance Zoé, à Moudon. Le discours général encourage toutefois, ici et aujourd’hui, à coucher les enfants dans leur propre chambre. Si aucune étude statistique ne permet à notre connaissance d’évaluer l’ampleur du phénomène en Suisse, les spécialistes de la petite enfance reconnaissent que la problématique est récurrente: «On voit de plus en plus de jeunes parents en consultation, soucieux de bien faire et angoissés à l’idée de traumatiser leurs enfants», dit Adriana Bouchat, psychologue et cheffe du service de consultation de couple et de sexologie de la Fondation Profa, à Lausanne. Alors, dormir avec son enfant, c’est bon ou c’est mauvais?

Plus qu’une question d’âge ou de fréquence, ce serait avant tout une question de climat familial. «De manière générale, le fait de dormir avec son enfant est, en soi, plutôt anodin, explique Etienne Marchand, pédopsychiatre et thérapeute de la famille à Lausanne. C’est le sens que l’on y met qui importe». Car ce sont souvent les propres peurs des parents qui affleurent au moment du coucher des enfants. «Il y a parfois chez l’adulte une résonnance de ce que l’on ressent quand on est seul, et un sentiment de culpabilité d’«abandonner» son enfant dans sa chambre, précise le spécialiste. Les parents doivent au contraire aider l’enfant à trouver en lui-même le sentiment de sécurité qu’il ressent en leur présence». C’est aussi l’avis de son confrère Nahum Frenck, pédiatre et thérapeute familial à Lausanne: «Je préfère toujours inciter les parents à clairement renvoyer l’enfant dans sa chambre, sans culpabiliser». Pour lui, les parents risquent en effet d’envoyer un mauvais message à l’enfant en le gardant avec eux: «tu es incapable de dormir seul», mais aussi: «nous avons besoin que tu nous rassures».

Apaiser un enfant qui a fait un cauchemar, l’endormir (et se rendormir!) après la tétée ou le biberon, se sentir rassuré de le savoir tout près, compenser le temps que l’on n’a pas passé ensemble pendant la journée: les arguments pour justifier la présence d’un enfant dans le lit des parents ne manquent pas. «La pratique est très courante chez nous lorsque les pères sont au service militaire», observe d’ailleurs Nahum Frenck. Certains parents sont aussi de véritables adeptes du «family bed», un concept américain de partage institutionnalisé du lit familial, une façon selon eux de répondre sans délai aux besoins de contact des enfants. En pratique, ce sont souvent les mères qui sont à l’origine du co-sleeping et on assiste parfois à des situations paradoxales dans lesquelles Papa finit sa nuit sur le canapé du salon parce que le lit conjugal est squatté par sa progéniture. «Cette situation chatouille l’Œdipe, relève Etienne Marchand, et il y aurait là de quoi engager une véritable réflexion sur le couple en lui-même».

«Guichet parents» fermé

Si la plupart des familles pratiquant régulièrement ou occasionnellement le sommeil partagé ne s’en portent pas plus mal, certaines situations sont, à l’inverse, problématiques. C’est notamment le cas dans les familles monoparentales lorsque l’enfant partage régulièrement le lit du parent avec lequel il vit. «L’enfant n’a pas à combler le parent, il n’est ni sa béquille, ni son petit partenaire», explique Adriana Bouchat. Mais pour elle, la situation est surtout dramatique lorsque l’enfant est utilisé comme «une barrière dans le lit conjugal». Elle est ainsi régulièrement confrontée, lors de ses consultations, aux cas de mères qui n’ont plus envie de reprendre leur rôle de femmes: «mettre l’enfant dans le lit les met à l’abri d’un rapport sexuel» explique-t-elle. Car il ne faut pas oublier que les parents sont aussi, et avant tout, un couple. Que devient justement ce couple quand le lit conjugal devient le lit familial? Adriana Bouchat explique qu’il faut savoir «fermer sa chambre à coucher». On peut en effet garder bébé près de soi, notamment pour des raisons pratiques, mais il y a un moment où le couple doit se retrouver. «La dyade homme/femme ne doit pas disparaître face à la dimension parentale, souligne-t-elle, si l’on veut que le couple dure, on ne peut pas être que des parents!». Une opinion partagée par Nahum Frenck pour qui le «guichet parents» doit rester fermé pendant la nuit. Corinne Meyer nuance quant à elle la question de l’intimité, «tout est lié à la représentation que l’on a de la chambre et du lit: les parents peuvent s’arranger pour se retrouver et faire l’amour ailleurs!».

Comment les parents parviennent-ils à mettre fin au co-sleeping? Les professionnels sont unanimes: quel que soit l’âge de l’enfant, il faut une décision conjointe et ferme des parents qui doivent être convaincus de leur choix. Pour Corinne Meyer, dormir seul est un apprentissage comme les autres. Elle suggère ainsi aux parents de lancer des défis à leur enfant et de faire des compromis (mettre une veilleuse, laisser la porte ouverte, etc.). Etienne Marchand précise qu’il faut aussi, le cas échéant, tenir compte des angoisses profondes de l’enfant (et des parents): «Il faut parfois, avec l’aide du thérapeute, mettre en place un véritable sevrage progressif». La patience et la fermeté paient. «On y parvient 9 fois sur 10, conclut Nahum Frenck. Quelque soit l’âge de l’enfant.»

«Je n’ose pas toujours avouer que ma fille de 5 ans dort régulièrement avec moi »

«Avant la naissance de ma fille, j’avais des idées très arrêtées : jamais de bébé dans mon lit! Mais elle se rendormait difficilement après les tétées, j’étais épuisée et c’était si simple et si agréable de me rendormir avec elle. Elle a dormi ensuite dans sa chambre sans aucun problème jusqu’à ce qu’elle puisse sortir seule de son lit. Depuis, elle se glisse régulièrement entre mon mari et moi. Nous n’avons pas forcément le cœur de la reconduire dans sa chambre, j’adore la sentir à côté de moi, l’écouter respirer et sucer son pouce… Je n’ose pas toujours avouer qu’elle dort régulièrement avec moi, on se sent si vite jugé. Je suis enceinte et je me rends compte que nous devons à présent lui donner l’habitude de rester dans sa chambre. Car à moins de changer de lit, j’imagine mal dormir à quatre dans le même...»

«Mes enfants n’ont pas besoin de moi pour dormir»

«Je n’ai jamais voulu que mes enfants dorment avec moi, j’avais trop peur que cela devienne une habitude et qu’ils aient du mal à dormir seuls. Quand l’aîné est né, mon mari a insisté pour que nous le prenions dans notre chambre la première nuit. Tous ces petits bruits de bébé m’ont stressée! Je n’ai pas renouvelé l’expérience. Mes enfants ont tous fait leur nuit à deux mois; à partir de ce moment-là, et hormis quand ils sont malades, j’ai rarement eu à me lever. Quand je l’ai fait, je n’ai jamais cédé à la tentation de les rendormir dans mes bras. C’est dur parfois, mais on y gagne tous pour la suite. Mes enfants aiment leur lit et n’ont pas besoin de moi pour dormir! Pour le reste, ils ont chacun un doudou, le petit a six lolettes dans son lit, les deux grands ont chacun leur verre d’eau. De quoi tenir! Je suis mère au foyer, je m’occupe d’eux toute la journée, ils ne sont pas en manque de jeux, ni de câlins. Alors je pense avoir le droit de garder la nuit pour moi.»



04/12/2010
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